lundi 13 mars 2017

La machine à être poli : seuls les thaïs pouvaient l'inventer


 Distributeur automatique de friandises - modèle thaï

Hier, je suis allé au Mall de Korat. Mission commandée : Fon voulait y retrouver des amies, montrer comme Nam avait grandi, et surtout, papoter - que du bonheur pour moi... Mais je fais mon pisse-vinaigre : j'aime bien le Mall, pourvu qu'on n'y traîne pas trop longtemps.

L'air conditionné, les allées propres, un petit air de commerce moderne avec des produits mis au goût asiatique - je n'ai pas la nausée qui me saisit en France devant les marques connues depuis mon enfance et leur retape. L'immonde réclame qui mobilise les désirs banals et les rêves médiocres de l'homo occidentalis à travers les images trop léchées des photographes de pub : je suis cet homme jeune, beau et désinvolte avec cette élégance faussement négligée ; je suis cette jolie femme un peu blasée à l'élégance subtile, qui s'amuse avec condescendance ; je suis ce couple aisé qui se promène tard dans les rues pour prendre un coup de flash, car je suis vaguement célèbre…

Tu sais trop bien ce que connote ce mot "réclame". Réclamer : d'abord clamer, donc faire beaucoup de bruit - bien trop. Ensuite réclamer - une exigence, un dû dont on n'a été privé par une injustice. Ou pire, une réclamation sportive : se plaindre du non-respect des règles par son adversaire. Car on n'est pas capable d'accepter une défaite, même imméritée : pas assez fair play… Quel vilain mot !

Ici, je ne suis pas une cible marketing et je ne comprends pas ce qu'ils veulent - je ne comprends rien. C'est si bon de ne pas comprendre, des fois. C'est pour cette raison que je vis ici.

Au second étage, il y a un genre de marché improvisé qui durera une semaine. On y vend entre autres du poisson qui sent très fort et embaume tous les rayons alentours, étoffes, thé, cosmétiques… merveilleuse Thaïlande !

A l'entrée comme à la sortie du parking, des guérites. Les employés ont pour mission de tendre une carte de stationnement ou de la reprendre, et d'appuyer sur le bouton qui commande la barrière. Il se passe quelque chose d'à la fois drôle et bizarre : l'ouverture du passage à niveau s'accompagne d'un remerciement enregistré avec une voix caverneuse : khop khun khrap...

C'est quand même très curieux, une machine à dire merci, non ? Je comprends bien que ces garçons soient fatigués de répéter la même chose toute la journée. Mais un merci automatisé peut-il remplacer un merci personnel ? Dire merci n'a pas d'utilité directe, comme "excusez-moi" ou "bonjour", qui jouent le rôle d'ouverture du dialogue. Il n'a de sens que parce qu'il est prononcé par un autre être humain actant qu'on lui a rendu un service. Et de manière très ténue, très secondaire, qu'il rendra peut-être la pareille dans des temps ultérieurs.

La question de la politesse commerciale se pose soudain avec une violence inouïe !... On comprend que ce n'est pas l'homme qui est poli, mais le magasin. Qu'attendons-nous des relations humaines, même les plus banales ? Y a-t-il tromperie sur la marchandise, et ce merci vaut-il quelque chose ? N'eût-il pas mieux valu un silence ? Que veut nous faire croire the Mall ? Ce subterfuge serait-il possible en Europe ?

Pendant que je m'agite sur mon siège et que j'élucubre, une idée triste me vient. Les garçons pourraient facilement être remplacés par des machines - qui afficheraient "merci" sur leur écran. Bien moins sympathique que la voix enregistrée de Belphegor. Mais ici, les machines valent plus cher que les hommes. Pour l'instant. Alors on garde les hommes, mais ils seront remplacés un jour prochain…


 The Mall : il y a toujours de bonnes affaires au rayon des soldes

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