jeudi 5 janvier 2017

États d'âme


Ce matin, il y avait des grosses vagues…

Oui, ce matin je suis partie avec Nam à l'hôtel où nous avions séjourné quand nous avons découvert Ko Kut. C'est un grand hôtel avec une belle pelouse anglaise. Il est juste en face d'une plage magnifique, avec un ponton, du sable fin, des forêts de cocotiers. Tout ce qu'il faut pour fabriquer du rêve.

Derniers jours pour les vacanciers venus passer le nouvel an au soleil. On voit cahoter une carriole couverte de bagages - direction le taxi, que certains appellent la bétaillère : simple pick-up couvert, avec des marches à l'arrière et un banc de chaque côté. Il faut être à l'embarcadère avant dix heures. Alors on se hèle, on se dépêche…

Tu sais bien à quoi ça ressemble, un touriste qui part : c'est un mélange de tragique et de comique, voire de grotesque, avec les souvenirs qui n'entrent pas dans la valise, le chapeau et les lunettes de soleil, obligatoires. Je les imagine dans trois jours au bureau, avec leurs traces de bronzage, un peu hagards, encore décalés : ils ont à peine le temps de s'ajuster ici qu'il leur faut repartir - c'est dur… Maintenant qu'ils ont fait la Thaïlande, où partiront-ils la prochaine fois ?

Je m'en fous ! Nam et moi, nous aurons de nouveau la plage à nous tout seuls.

Nam est très à l'aise dans l'eau avec ses deux petites bouées roses au bras. Avant-hier, j'ai même vu qu'elle pouvait un peu de déplacer. J'ai longtemps cherché comment elle faisait. Je crois que c'est un genre de pédalage dans l'eau, presque vertical. Je considère qu'à seize mois, c'est un exploit, je suis fier d'elle…

Mais il y a eu une tempête au large, plus à l'ouest dans le golfe de Thaïlande. Et aujourd'hui, malgré le calme plat, des rouleaux déferlent sur la plage. Pas question de laisser Nam rouler dans l'écume.

Alors je la prends dans les bras et j'avance dans la mer, la portant bien haut - comme le roi des Aulnes (celui de Tournier) quand il sauve Ephraïm. Entre deux vagues, je fléchis les jambes, et nous attendons que le rouleau soit tout près - je voudrais qu'elle voie comme c'est beau - et je me redresse au dernier moment. Quelquefois, en regardant sur le côté, on a la chance de voir le tube d'eau glauque qui s'effondre. Parfois c'est la douche, mais elle n'a jamais peur.

En revenant, elle me montre la balançoire - une simple planche attachée très haut à un palmier. Impossible : la place est occupée. Une blonde au cul un peu gras se balance en se prenant en photo. Elle est attirante de loin, décevante de plus près. Tout dans son style indique la russe - et pas la sympathique babouchka, plutôt la version radasse.

Son jules arrive, et la séance de photo se prolonge sur le ponton. Elle s'allonge et prend des poses évocatrices, c'est plutôt drôle. Je me demande si elle fait partie de ces filles qui se vendent pour un voyage : c'est une rubrique classique sur les sites de rencontre russes. Les femmes indiquent qu'elles cherchent un homme qui va les emmener en vacances à l'étranger. Les plus belles exigent les Seychelles ou d'autres destinations encore plus exotiques. Le statut financier de la femme est tel en Russie et en Ukraine qu'elles n'ont pas d'autre possibilité de voyager - et pourtant, elles en crèvent. Elles arborent sur leurs pages perso les destinations où elles ont pu faire bronzer leurs fesses, comme sur leurs carlingues, les aviateurs d'autrefois le nombre d'avions ennemis qu'ils ont descendus.

Tandis que le jules prend les photos qui vont servir à sa princesse pour se vendre lors de son prochain voyage, une dame d'âge mûr au regard intelligent et doux jette à Aude un regard aimable.

Comme la place est libre, nous occupons la balançoire. Nam s'endort à moitié sur moi - ou me fait un câlin, c'est souvent un peu des deux.


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Tu auras noté qu'il n'y a pas de photos sur ce post. Sans doute il y a des choses qui se disent seulement avec les mots.

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