mardi 13 septembre 2016

Suaves injures de Thaïlande


Hia lek !

Je regardais hier le début de la saison 4 de cette excellente série, Damages. C’est une série d’avocats qui se déroule à New-York. Deux avocats d’âge mur, au sommet de leur gloire, ont été naguère en conflit. Ils  tentent une conciliation qui n’aboutit pas. L’un des avocats prend congé en saluant l’autre d’un "Fuck you !" pas très affectueux. La traduction oscille entre "Va te faire foutre" et "Va te faire mettre", la première légèrement inexacte, la seconde un peu désuète - rien n’est simple.

Depuis trente ans, l’utilisation de mots orduriers semble se répandre des deux côtés de l'Atlantique. C’est un Gilles de la Tourette généralisé - encore plus aux USA que chez nous. En Russie, on résiste courageusement, et celui qui utilise des mots grossiers se déconsidère auprès d’une bonne partie de la population. Il est perçu comme "peuple" - ce qui est comique pour d’anciens soviets !

Quelle est la situation en Thaïlande ? La médiocrité de mon niveau dans la langue m’interdit d’en avoir une appréciation fine. Au bout de deux ans d’efforts, j’ai obtenu de Fon qu’elle me révèle les injures les plus courantes qu’on pouvait lancer en voiture - fenêtre remontées - quand un thaï te faisait une queue de poisson. La queue de poisson étant un plat national qui se consomme chaud, voire très chaud.

Oui, tu as bien entendu, deux ans d’efforts. Je ne compte pas les refus que j’ai essuyés. Finalement, Fon a laissé échapper deux mots. Attention, bouche-toi les oreilles si tu es un peu délicat.

Le premier, phonétiquement "hia", veut dire iguane.
Le second, "sat", veut dire animal.

Y a-t-il un sens caché, pervers, sexuel, une insulte familiale (comme dans NTM) ? Non. L’un et l’autre veulent dire ce qu’ils veulent dire, rien de plus.

Il paraît pourtant qu’on risque une réaction violente si on s'adresse en ces termes à quelqu’un d’autre. Encore faut-il qu’on soit compris. En effet, "sat" (avec une modulation identique mais des orthographes différentes) veut aussi dire :
a/ vérité
b/ mesure de riz de 20 litres, et aussi saillir, couvrir
c/ intègre, probe
d/ honnêteté, loyauté

Et "sat", cette fois avec un "a" long veut dire :
a/ éclabousser, asperger
b/ instruction, missive
c/ science

Par parenthèse, je te laisse deviner comment on dit : "la science éclabousse l'homme intègre de sa vérité". Bègues s'abstenir.

Si je me laisse aller et qu’on me cherche des crosses, j’ai prévu d'expliquer que j’ai voulu dire "mesure de riz de 20 litres". Fon n’est pas sûre qu’on me croie. Mais dans un sens, je serais assez flatté qu’on me comprenne du premier coup - pour une fois.

Fon m’explique qu’autrefois, on pouvait se traiter de kwaï, qui veut dire buffle. (oui, le pont de la rivière Kwaï, c’est bêtement le pont de la rivière aux buffles). Le buffle n’est pas considéré comme un modèle d’intelligence. Aujourd’hui, l’insulte est tombée en désuétude.

Depuis que j’ai appris ces mots, je ne dors plus, je suis à l’affût jour et nuit. Mais je ne les entends jamais.

Je sais bien que divers facteurs peuvent moduler le débit horaire moyen de grossièretés (ou DHMG). Parmi lesquels, culture régionale, culture de classe, professions (charretiers), et même personnalité : certains se plaisent à choquer, d’autres adoptent un profil bas, ou un très grand respect des règles, des traditions et des codes de civilité.

Est-ce que j’évolue dans un monde de bisounours, alors qu’à un jet de pierre, les gens se bombardent de noms d’oiseaux  - si tant est qu’un iguane soit un oiseau ? Je ne sais pas. Je pense qu’on me cache des choses terribles. Par exemple les révélations réciproques que se font deux hommes à propos de leurs mères, de leurs sœurs, de la régularité de leurs mœurs, juste avant de se battre.

Un peu de patience. Peut-être que dans deux ans, Fon me fera d'autres confidences. Pour l’instant, je me contenterai de l’animal et de l’iguane.

Kwai yaï !

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