lundi 21 mars 2016

Décharge sauvage… d'adrénaline

Décharge au cœur de Bangkok


Hier, j'allais à Korat sur ma moto. A vingt mètres de la route, sur un terrain dont je ne dirais pas qu'il était vague, mais du moins... pas très net, j'ai vu un pick-up. Un thaï debout dans la remorque vidait des sacs d'ordures. Je n'ai pas identifié la nature des ordures. Juste vu qu'une partie s'envolait au vent, dans un grand nuage de poussière. En regardant autour du pick-up, j'ai constaté qu'il n'était pas le premier à avoir fait cela. Où alors il le faisait tous les jours au même endroit depuis une semaine !

Tout le monde pouvait le voir de la route, en train de jeter ses déchets. La police, qui passe parfois. Manifestement pas un problème. J'ai continué à rouler, et sur un kilomètre, j'ai vu des cartons, des sacs en plastique dans le fossé, accrochés aux arbres.

Ici, en Thaïlande, il n'y a aucune fatwa contre les sacs en plastique. Quand j'achète mon jus d'orange, la vendeuse m'en met deux couches, pour que ça tienne bien au crochet de ma moto. C'est un produit si pratique, qui me fait tellement défaut en Europe… au point qu'ici, j'ai commencé à les stocker ! La peur de manquer… Et puis j'ai vu qu'il n'y avait pas de danger que ça s'arrête, et j'ai cessé d'empiler les sacs dans un placard.

Hier, j'ai terminé un livre de Iegor Gran, "l'écologie en bas de chez moi", qui raconte l'agacement de l'auteur devant l'emballement écolo-responsable et le développement durable. C'est un livre agréable à lire, qui permet de passer deux ou trois heures amusantes et un peu réflexives. Apparemment, l'auteur écrit parfois dans Libération. H
eureusement, le style est moins racoleur que celui de ce journal - on sent quand même la parenté.

Iegor Gran met en doute la réalité du réchauffement planétaire par la faute des hommes. Il ne s'inscrit pas dans une énième théorie du complot, mais pose un regard humoristique sur ses voisins d'immeuble, et critique sur le GIEC, organisme qui regrouperait deux mille cinq cent scientifiques… dont seuls une soixantaine seraient actifs sur la question du réchauffement - encore n'auraient-ils aucune activité de recherche.

Tandis que Iegor Gran conteste, Etienne Klein souligne
au cours d'une chronique à la radio à quel point, en France, nous sommes dans une phase étrange que caractérise "le souci de ne pas se laisser tromper, une attitude de défiance généralisée, une détermination à crever les apparence pour atteindre les motivations réelles qui se cachent derrière". C'est très vrai. Fonctionnement positif quand des personnes ayant une méthodologie correcte se lancent dans la contestation (et je crois que c'est le cas de Iegor Gran). Ou exaspérant de stupidité quand ce sont des esprits qui n'ont pas été formés ou n'ont pas les moyens intellectuels nécessaires. Je me demande bien quelle est la raison de cet état d'esprit - par parenthèse très Front National. Tu as une idée ?

Bref, je partage totalement l'agacement de Iegor Gran. Mais peut-on faire autrement ? Il s'agit de faire passer un message, celui d'un éventuel danger pour la planète, sans doute provoqué par l'homme. L'élite des climatologues peut avoir une opinion scientifique qui se tient. Nous, non. Iegor Gran le reconnaît parfaitement. Nous sommes "obligés" de les croire. Mais avant d'en arriver là, nous avons quand même le droit de douter, d'examiner de manière latérale ce que nous ne pouvons contester de manière frontale. Qui délivre le message, quelle unanimité, quelle représentativité, quelles compétences. C'est ce qu'a semblé faire Iegor Gran - mais il ne donne pas de détails, ce n'est pas le but du livre, et nous ne pouvons pas vraiment juger de la qualité de sa démarche.

L'engouement pour le développement durable, martelé par les slogans insipides de l’État, récupéré par la publicité, est irritant. Les nouveaux ayatollahs de l'écologie - ceux justement qu'on trouve en bas de son immeuble, et qui voient partout le grand Satan des pollueurs - sont totalement exaspérants.

Mais pour obtenir l'adhésion du plus grand nombre, il faut embrigader. Soumis à une propagande bien menée et livrés à leurs médiocres connaissances, les gens ont des réactions attendues : stupides, excessives, ridicules. Un extrémisme de nouveau converti. C'est bien de cela que Iegor Gran se plaint. Je crains qu'il n'y ait pourtant pas d'autres moyens pour obtenir un certain éveil, un changement d'attitude suffisamment répandu dans la population - tout en assumant le risque d'erreur des prévisionnistes, qui se sont déjà trompés plusieurs fois.

Cela m'évoque une remarque de Steven Pinker (dans "The Better Angels of Our Nature" - il existe une traduction française). Il évoquait la généralisation de l'euphémisme, l'impossibilité d'appeler les choses par leur nom, l'atténuation des signifiés, l'hygiène verbale forcenée, de peur d'engendrer la moindre agressivité dans l'atmosphère. Et se résignait à cette langue de bois ridicule, car il serait démontré qu'elle est efficace en termes de réduction de la violence, ou du moins qu'elle en est un sous-produit obligatoire.

Ce serait bien que Iegor Gran lise Pinker, il serait plus tolérant à la connerie… mais il n'aurait pas écrit son livre, témoignage sur notre époque.

Quant à la Thaïlande et ses décharges sauvages… D'après Fon, il n'existe pas de décharge municipale dans le coin, le concept même est inconnu. Il n'y a pas de ramassage des poubelles. Chacun établit la politique qu'il va appliquer pour conchier son coin.


La saison des fraises, en décembre-janvier, permet aux Holiday inns,  aux Hyatt, aux Best Western et aux Marriott du monde entier d'agrémenter leurs brunches d'un zeste de paradoxe. Mais en Thaïlande, en dehors de la région de Phetchabun ou de Chiang Mai, on n'en voit pas la couleur : à mon grand désespoir, on consomme strictement local.

A la ferme, la famille de Fon trie depuis longtemps : le verre et le plastique recyclable, pour récupérer trois sous ; les épluchures et autres déchets organiques, pour nourrir poules, canard, chiens et zébus ; les cartons sont parfois recyclés, parfois utilisés avec le papier pour allumer le feu ; les vieilles chaussures en plastique et les tubes de dentifrice vides sont dissimulés derrière les toilettes ; quant aux gravats, il faut les jeter derrière le bosquet de bambou... La famille ne consomme rien d'autre. Alors oui, ce n'est pas parfait. Mais chaque chose en son temps.


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