Cinq
heures du matin. La lumière est étrange. Jaune. Non pas le jaune du soleil,
mais un jaune pisseux, menaçant. C'est une couleur que je n'ai jamais vue -
comme un filtre photographique. Il fait déjà trop chaud.
La
mer est plombée, calme. C'est marée basse - hier soir j'ai vu la pleine lune :
grande marée qui découvre des roches au milieu de la baie, et les coiffe
d'écume triomphante. Au loin, la montagne, et dans la mer, la falaise de l'île
Sampu, couvertes d'arbres, sont toujours aussi belles. Isma balaye la route
avec une énergie rageuse. Une petite moto passe avec deux petits vieux dont
l'un tient un bidon, l'échappement a été amputé, ça pétarade dans le matin.
La
petite fille de la famille, qui n'est pas d'âge scolaire, joue avec une
tablette graphique. Sans doute un pari sur l'avenir que font les parents. C'est
étonnant : ils n'ont pas l'eau courante (dans la maison de l'épicière, c'est
pire, elle n'a pas de pompe, je la vois ramener des seaux d'eau à la maison),
mais ils ont une tablette graphique. D'ailleurs sans internet - trop cher si on
le prend par puce téléphonique, le seul moyen dans la région. Arif s'en sert
pour jouer, et me demande si j'ai des jeux sur mon ordinateur.
En
allant chercher ma bouteille d'eau froide dans leur réfrigérateur, j'ai vu leur
intérieur. Ils mettent à la location une maison bâtie en dur, claire, avec des
portes et des fenêtres, tandis qu'ils habitent une cabane en bois sous un toit
en fibrociment, avec une seule pièce fonctionnelle. Il y a une petite
télévision, une armoire en bois tropical, beaucoup d'affaires à gauche à droite.
S'il vient un tsunami, ils sont du mauvais côté de Jawa, à deux ou trois mètres
au dessus du niveau de la mer. Mais ils peuvent espérer que l'île Sampu les
protègera.
Il
n'y a pas de salle d'eau de leur côté, et ils viennent tous les jours demander
à utiliser la mienne. Au départ, ce n'est pas elle qui demande, ce serait indécent, c'est
lui. Ensuite, elle devient plus familière.
Donc pas d'eau courante, l'électricité quand il n'y a pas d'orage. Pas de
ligne téléphonique. Le feu sous la poêle ? Un camping gaz avec une grosse
bouteille. Et le tout à l'égout ? Les chiottes turcs de la maison se
déversent-ils dans une fosse ? Je n'ai vu aucune canalisation sortir du sable
pour se jeter dans la mer.
A
côté d'eux, les parents de Fon sont presque des nababs. Mais je parie que dans
vingt ans, Arif et Isma seront riches, car le village qu'ils habitent, sur un
emplacement juste en face de la mer, sera valorisé par le tourisme. Tandis que
les parents de Fon n'auront rien de plus.
Tandis
que je médite sur ma méridienne, je vois s'élever une fumée au dessus de la
plage. Je comprends ! S'ils balayent les feuilles mortes, c'est pour en faire
un tas, jeter leurs détritus par-dessus, et mettre le feu. Le voisin, lui,
creuse un trou pour son foyer, et jette le sable qu'il retire sur la chaussée,
devant sa maison. Je m'explique pourquoi la plage, et plus globalement le
village restent assez propres.
Arif
m'entraîne, il a un grand coupe-coupe à la main, il va au pré commun
débroussailler. Une quinzaine d'hommes sont là, ils nettoient un bout de
terrain, tout près des bananiers, au bord de la plage. Peut-être que les
bananiers eux aussi sont communs - un régime de bananes murit d'un seul coup,
en deux jours, et il faut dix familles pour en venir à bout, sinon, les bananes
se gâtent.
Quand
je reviens, Isma vient m'apporter un thé chaud, sucré et aromatisé… avec...? Un
genre de caramel ? C'est le même qu'on boit glacé en Thaïlande. C'est très bon.
Quel est cet ingrédient mystère. Je demanderai à Fon, elle saura certainement.
Fon me manque. J'essaye de la joindre, mais ça veut vraiment pas. Je pense à sa
chemise de nuit de petite fille, avec des nounours et des fleurs. Pour me faire
une surprise, elle l'a changée pour une nuisette noire, certainement plus sexy.
Je lui demanderai de temps en temps de remettre sa chemise à nounours. Et la
tendresse, bordel !
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