lundi 6 avril 2015

Phetchabun




Nous sommes arrivés dans cet endroit par hasard. A l'origine, je voulais aller au Laos. Mais je sentais bien que Fon redoutait un voyage un peu long et fatiguant. Alors j'ai proposé d'aller dans le sud, louer une maison au bord de la mer. Pas évident non plus. Les maisons font généralement parti de ghettos farang, et je n'avais pas très envie de me retrouver dans ce milieu, ou pire, sur une route touristique.

Fon m'a proposé d'aller dans la région de Phetchabun, en plein centre de la Thaïlande, où il y a de la montagnette. Il a quand même fallu deux jours et demi pour y arriver tant l'endroit est mal desservi. Pourtant, la route qui mène à notre resort, Khao Kho, est large comme si le sixième régiment de cavalerie devait y défiler demain avec ses chars. Mais pour l'instant, à peine si on voit passer parfois une moto ou un pick-up. La route mène je ne sais où. De chaque côté, il y a des chemins de terre et de temps en temps, un village. Impossible de louer une moto. Nous trouvons un hôtel avec une vue agréable, à deux kilomètres d'un petit plan d'eau où je peux nager.

La lumière est toujours aussi grise. Mais il fait un peu plus frais qu'à Korat. Heureusement car l'hôtel n'a pas l'air conditionné. Je relève trente-cinq degrés dans la journée, vingt-six la nuit sur le thermomètre qui pend à côté de la porte de la chambre. En fait de tourisme, les brochures touristiques montrent les hôtels. C'est dire si l'endroit est plein de ressources.

Il y a manifestement des cultures de fraises dans le coin étant donné le nombre de pancartes qui proposent la vente en vrac. Tout le long de la route, on voit des panneaux en bois découpé montrant un fruit énorme, assez peu ressemblant, avec des points blancs sur fond rouge comme une amanite tue-mouche. Frustrant, on ne trouve pas une seule fraise, ce n'est plus la saison, elles ne poussent qu'en plein hiver. Nous avons quand même déniché un demi-kilo de petites fraises parfumées et sucrées, et on nous en a promis d'autres.

Je crois avoir fait le tour des distractions de l'endroit : des fraises en hiver, un peu de fraîcheur, une chute d'eau peu impressionnante, un musée des armes où l'on peut voir, paraît-il, un char d'assaut, un canon anti-aérien et un hélicoptère de l'armée, souvenirs de la lutte contre les communistes il y a quarante ans. C'est tout.

Heureusement, nous pouvons compter sur nos richesses intérieures…

Et puis il y a Tchat. C'est un collégien qui vient de finir ses études. Je l'ai rencontré par hasard en demandant mon chemin. Il parle assez bien anglais, surtout pour un habitant d'un village reculé. Il s'est proposé de m'accompagner et nous avons parlé un peu. Il est le cinquième d'une famille de dix enfants. La particularité de ses parents : ils sont catholiques.

Je ne sais pas comment, mais Tchat a réussi à faire l'école secondaire. Il n'y a pas d'écoles dans la région, et il a été obligé d'aller à quatre cent kilomètres de son village pour étudier. Etudes payées par qui ? Pas par ses parents, qui ne possèdent pas beaucoup de terre, et ont d'autres soucis financiers. Maintenant, il voudrait devenir enseignant. Mais comment ? Pour l'instant, il travaille à la ferme, et nous nous donnons rendez-vous à l'étang, où je lui donne des cours de crawl. Fon l'aime bien. Elle dit qu'il est différent des jeunes de son âge. C'est vrai qu'il a quelque chose, il est charmant.

Comme la prise de mon transformateur donne des signes de faiblesse, Tchat propose de m'emmener à moto à la ville la plus proche. C'est là que, dans un magasin d'ordinateurs, je tombe sur un bien sinistre couple, sous les dehors les plus chaleureux. Ils ont trente et quelques années, un homme assez gros à l'air sournois, une femme mince et grande, surtout pour une thaï, avec des petits rires veules. Seul le chat de la boutique est sympathique.

D'abord, l'homme me dit que cette prise ne peut être réparée, il y aura toujours des ennuis, des variations de courant, et qu'il vaut mieux commander du neuf. Ils se font fort de trouver en quarante-huit heures pour un prix... excessif. Mes connaissances en électricité sont faibles, mais je ne gobe pas cette histoire, je refuse et nous sortons.

Comment faire ? J'interroge Tchat, et il m'annonce que l'IT le plus proche est à vingt-cinq kilomètres. Je culpabilise de l'entraîner si loin, même si je paye les trajets. Il me dit que le type serait quand même d'accord pour réparer la prise. Alors nous retournons au magasin.

Le gros type s'installe, debout autour de lui, nous le regardons faire. Toujours intéressant, sinon agréable de voir un technicien pratiquer son art. Un des plaisirs de la Thaïlande, on y fait les choses sans chichis. Ah, il n'a pas l'instrument nécessaire pour fendre la prise. Il va dans l'arrière-boutique, s'assoit. Dans sa main, une simple lame de rasoir. Il n'a même pas de cutter ! Et un petit tournevis pour mieux marpailler la capsule en téflon qui abrite le fil de cuivre. Comme il s'y prend comme un manche, il se blesse au pouce. Je suis obligé de terminer le travail. Et la zone de coupure électrique m'apparaît. L'homme ne semble pas vouloir faire quoi que ce soit pour terminer la réparation, en soudant par exemple.

Je n'ai plus rien à attendre de lui. Je demande combien je dois. Là se joue une étrange partie. L'homme se dit que je vais sans doute donner une somme plus intéressante que ce qu'il peut décemment demander, étant donné la présence de Tchat. Sa femme dit en riant : cent bath… mais je plaisante ! Elle le répétera encore. L'avidité les met sur les charbons ardents. Je repose ma question. L'homme dit qu'il ne demande rien, bien sûr, mais qu'il souhaite que je lui donne un pourboire - qui prend aussitôt un caractère obligatoire. Ça traîne. Je vois bien qu'il ne veut rien dire devant Tchat, mais qu'il voudrait bien… Je me tourne vers mon ami, qui propose cinquante bath. Je dépose le billet sur le comptoir, et nous partons. Tchat me dit que ces gens-là sont bien friendly. Je crois qu'il le pense réellement.

Le soir, à l'hôtel, le mari de l'hôtesse jette un coup d'œil sur la prise. Il essaye de la souder, mais son poste à soudure est d'une saleté rédhibitoire, et pas assez puissant pour réchauffer et la crasse, et le cuivre et l'étain. Il réussit quand même à faire une tresse qu'il chauffe un peu, réparation de fortune qui ne durera pas plus de quelques jours. Peu importe. Il demande s'il a fallu que je paye le réparateur qui a fendu la prise, et combien. Fon lui dit. Il s'indigne…

C'était moins de deux euros. Il n'y a pas mort d'homme. Juste celle de quelques illusions. Il paraît que les français étaient comme ça avec les américains, juste après la dernière guerre mondiale.

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